Journal d’une membre de l’équipe de négociation

1 décembre 2004

En hommage à notre équipe de négociation.

12 octobre 2004, 3 h 27 du matin : Me voici dans une salle de conférence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, à me demander comment nous en sommes arrivés là. L’Action de grâce est passée, et nous sommes toujours là, les sept membres de l’équipe de négociation de l’ARC, dans une salle d’attente. Nos familles ont toutes téléphoné : le dîner a été magnifique, tu nous as manqué, et quand rentres‑tu à la maison? L’Action de grâce, le temps de faire un retour sur sa vie, le temps de rendre grâce. À 3 h 30 du matin, on n’a pas beaucoup envie de rendre grâce. Rendre grâce à l’employeur pour avoir accepté de revenir à la table mais de nous avoir fait rater une fête familiale? Rendre grâce au Conseil du Trésor pour s’être ingéré dans nos négociations? Ou peut-être, pour mettre l’accent pour le positif, rendre grâce aux sections locales et aux membres qui sont encore en grève, pendant que nous tâchons d’arracher un accord? À cette heure‑là du matin, on a davantage envie de réfléchir que de rendre grâce. Notre niveau de frustration nous enlève pas mal l’envie d’avoir de la gratitude, mais cela fait certes réfléchir sur ce qui nous a amenés ici.

Ces 17 mois ont été bien longs, et il est difficile d’imaginer que le processus pour l’équipe a vraiment débuté le 21 mai 2003.

En se remémorant les mois et les réunions, force est d’examiner le processus par lequel nous sommes passés, depuis le début. Du 21 au 25 mai 2003, le Comité national de la négociation du SEI est convoqué à Ottawa pour passer en revue les nombreuses revendications contractuelles soumises par les sections locales. Il y a 327 revendications, dont l’équipe doit choisir les 25 le plus cruciales pour nos membres. L’équipe a déjà décidé, dès le départ, qu’il ne serait pas prudent de dresser une « liste d’épicerie » des revendications si nous voulons de façon réaliste obtenir une entente de principe avec l’employeur dans un délai raisonnable. Plus nous aurons de revendications sur la table, plus nous risquerons des retards de la part de l’ADRC. Comment décider que telle revendication est plus prioritaire que telle autre? Huit membres du Conseil et deux présidentes et présidents de section locale étudient alors les revendications, débattent de ce qui est important, de ce qui est réalisable et de la façon d’en venir à une entente. La tâche semble impossible, mais nous y arrivons. 25 revendications sont transmises à l’AFPC au nom des membres du SEI.

Ensuite, qui seront les membres qui siégeront à l’équipe de négociation de l’ARC. Et il faut rencontrer les représentantes et représentants de CEUDA, qui a appliqué un processus semblable et s’amène avec 25 revendications de ses membres. Les équipes doivent maintenant se concerter et déterminer les 25 revendications contractuelles des deux éléments. L’AFPC a fait savoir que l’équipe sera composée de six membres du SEI et de trois membres de CEUDA. Les membres de l’équipe de négociation du SEI seront choisis par la présidente nationale, le 2e vice-président et le coprésident du Comité permanent de négociation.

Le 25 mai 2003, la sélection est faite. Reste à nous préparer à l’étape suivante. Nous devons rencontrer les membres de l’équipe de négociation de la CEUDA du 12 au 16 juillet et nous rapprocher un peu plus du processus de négociation.

Le principal sentiment qui nous anime maintenant est l’anticipation : nos revendications, les revendications de CEUDA et la mise dans la balance des intérêts des deux groupes de membres. Cela peut se faire.  Nous avons maintenant une bonne compréhension des intérêts divers des deux groupes :  AHPV versus horaire comprimé, bureaux douaniers par opposition à nos bureaux et la liste s'allonge. Nous passons les quelques jours suivants à examiner des demandes des deux éléments. Nous devons prendre la décision difficile de ramener les 50 revendications à 25. Cela peut sembler plus facile que d’en ramener 300 à 25, mais la tâche est plus compliquée parce que nous avons un intérêt acquis dans les choix que chaque élément a fait au départ.

Encore une fois, c’est mission accomplie! Et les deux camps se quittent avec le sentiment d’avoir travaillé au mieux des intérêts des membres.

Le 1er août 2003, 90 jours avant l’expiration de notre convention collective, nous signifions l’avis de négocier. Rob Wright, au nom de l’ADRC, avait promis que cette fois‑ci l’employeur était disposé à commencer à négocier avant l’expiration de la convention, si bien que nous avons bon espoir que les négociations s’amorceront très bientôt. Des faux espoirs encore une fois, qui amènent de nouvelles frustrations : Rob Wright n’est plus aux commandes, l’ADRC ne veut pas commencer à négocier tôt. L’équipe est dans une espèce de vide, pendant que les politiciens tentent de démêler les choses. Le temps passe lentement, mais on finit par convenir d’échanger nos revendications par voie électronique le 19, après quoi l’employeur acceptera de nous rencontrer du 25 au 27 août.

L’équipe s’amène à Ottawa pour le début des négociations, mais un autre retard surgit. L’employeur est disposé à échanger les revendications et à passer en revue les revendications respectives en demandant, au besoin, des précisions sur les changements, mais il n’est pas disposé à entamer les négociations. L’équipe ne cache pas sa frustration à l’employeur. Nous croyions que nous devions amorcer le processus et non pas nous mettre à expliquer des revendications dont la plupart se passe d’explications ou a été déjà vue. L’employeur refuse de bouger, il avait seulement réservé ces deux jours.  Les équipes retournent à leurs bureaux respectifs où elles apprennent que l’employeur sera disposé à négocier du 29 sept. au 5 oct. 2003 et du 10 au 14 nov. C’est le seul engagement que l’employeur accepte de prendre; nous, nous voulions l’engagement que nous pourrions rester là jusqu’à ce que tout soit réglé. Nous allons nous retrouver à un mois de l’expiration de la convention collective et nous n’avons pas l’impression d’être plus avancés, même si l’employeur avait pris l’engagement d’accélérer le processus.

Arrivés à la table, nous apprenons que l’employeur accepte de nous donner des jours de plus en novembre. Si nous ne réglons pas cette semaine, nous nous réunirons de nouveau du 10 au 17 novembre.

Pendant la semaine, nous rencontrons l’employeur chaque jour à 14h00. Nous passons une heure à discuter des revendications et attendons 23 heures pour sa réponse. La semaine est longue et lente. Les deux exceptions furent une discussion de deux heures le mercredi matin avec Darrell Mahoney au sujet de la NCA  après quoi, pendant la fin de semaine, nous avons une discussion sous toutes réserves, qui dure plusieurs heures, au sujet de plusieurs revendications. L’équipe a l’impression d’avoir accompli davantage pendant la fin de semaine que dans les cinq jours précédents. Dimanche après-midi, nous avons fini. Nous n’avons pas d’accord et nous devons attendre encore un mois, avant de pouvoir nous réunir de nouveau. Comment expliquer cela aux sections locales et aux membres? Nous sommes partis 7 jours, mais nous ne nous sommes vraiment rencontrés que quelques heures. La négociation est un étrange processus au gouvernement fédéral. Ce n’est pas comme dans les films. Qu’avons-nous accompli cette semaine‑là? Les équipes se sont mises d’accord sur tous les articles au sujet desquels il n’y avait aucune revendication contractuelle, nous sommes tombés d’accord sur des changements de formulation à l’article 8 et sur une petite modification aux articles 34.09 et 34.10. À la fin de la semaine, nous n’avons pas le sentiment d’avoir accompli grand-chose.

10 ‑17 novembre 2003 : Le 10 novembre est arrivé, et nous rencontrons l’employeur, de 13h40 à 14h40, pour recevoir ses réponses à plusieurs de nos revendications contractuelles, aux articles 18, 14, 17, 10 et 36, ainsi que sur les questions de mobilité. Il a une foule de raisons pour ne pas accéder à nos demandes et ne semble pas avoir envie d’entendre pourquoi nous demandons ces changements. Nous ne les aurions pas fait si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes dans notre milieu de travail. Nous reprenons les discussions avec l’employeur à 15h50 et prenons 20 minutes pour tenter d’expliquer, encore une fois, pourquoi il faut modifier ces articles.

Le mardi 11 novembre, Jour de souvenir pour les membres, nous espérons qu’ils n’oublient pas où nous sommes. Nous rencontrons l’employeur à 10h35 pour 20 minutes, puis faisons une pause pour observer deux minutes de silence à la mémoire de ceux qui se sont battus pour nous. À 13h20, nous rencontrons de nouveau l’employeur, puis, à 14h10, l’employeur nous dit qu’il ne pourra pas offrir un train complet de mesures monétaires avant d’avoir établi les taux de rémunération pour la nouvelle norme NCA. Il déclare : « Nous ne serons pas prêts cette semaine, mais le projet avance. Nous ne sommes pas en mesure d’offrir un forfait monétaire. Nos mandants ont pris contact avec les vôtres pour demander une réunion dans quelques semaines  ». Malgré que l’employeur avait affirmé vouloir que la NCA fasse partie de cette convention, et qu’il s’était engagé à se réunir avec nous jusqu’au 17, il s’amène à la table sans avoir l’intention de régler quoi que ce soit. Devant ce nouveau retard, l’équipe a une décision difficile à prendre : restons-nous à la table encore quelques jours, alors que l’employeur a dit qu’il n’est pas disposé à déposer d’offres monétaires?

L’équipe tient un caucus avec Nycole Turmel, puis rencontre de nouveau l’employeur pour une heure, le 12. L’employeur déclare à 16h50 : « Il est difficile de répondre à votre forfait salarial, puisqu’une de ses composantes n’est pas prête. Je prévois que ce travail sera terminé d’ici une semaine ou un mois. Nous ne sommes pas en mesure de vous faire une proposition avant la fin de décembre.» L’équipe n’a pas d’autre choix, et informe l’employeur que ce processus n’est pas une bonne utilisation de notre temps. L’employeur en convient, déclarant que nous devrions examiner certaines dates possibles en janvier.

Des votes de grève sont demandés et auront lieu du 17 novembre au 17 décembre 2003.

Lors de notre vote de grève (12 décembre), le gouvernement crée une nouvelle Agence (ASFC) et renvoie tous ses membres au Conseil du Trésor et à la Table 1. L’équipe doit se rencontrer du 12 au 16 janvier, mais quelles sont les incidences sur les négociations de ce que le gouvernement vient de faire. Pas de problèmes. L’employeur nous dit le 9 janvier qu’il ne sera pas prêt le 12 et remet notre réunion au 15 février : un beau cadeau de la Saint-Valentin. L’équipe décide de demander un conciliateur pour faire débloquer le processus.

Nous voici en février, et nous espérons bien fort que l’intervention d’un conciliateur nous ferait faire quelques progrès. Peine perdue : après trois jours de retards et en l’absence de tout progrès, même le conciliateur décide qu’il ne sert à rien de poursuivre nos réunions. Il n’y a pas eu le moindre progrès.

Le syndicat demande la nomination d’un bureau de conciliation. Des pépins dans le système au sujet du processus de désignation retardent la demande, mais nous parvenons enfin à amener la CRTFP à approuver un bureau de conciliation. Les trois membres sont nommés et nous avons enfin une audition fixée pour les 7 au 10 août.

7 août 2004: début du bureau de conciliation; c’est la première fois que nous sommes dans cette position. Nous ne sommes pas trop optimistes, mais voulons donner une chance au processus. Dans son mot d’ouverture (Thomas Kutner), le président, résume la réalité de la négociation en ces termes : « La négociation, c’est comme un mariage, sauf qu’il n’y a jamais possibilité de divorce.» Wow! Et à la fin du processus, il avait bien raison. Nous avons vu quelques légers progrès, et avons trouvé une solution à certaines de nos revendications, à l’article 18.01, des petits changements à l’article 22 sur la santé et la sécurité et un accord de principe sur l’article 45. Encore une fois, il faut se demander pourquoi il faut tant de temps pour faire si peu. Mais, au moins, nous faisons des progrès. Le président nous demande de passer les quelques premiers jours en médiation mais, alors, le 9, nous sommes appelés à passer au stade des exposés formels au Bureau de conciliation. Le 9 et le 10 sont au moins de longues journées: les équipes font des exposés jusque tard en soirée. Mais au moins nous avons l’impression de travailler. À 21h50, le 10, nous en avons enfin fini. Il ne reste plus qu’à attendre le rapport du Bureau de conciliation dans deux semaines.

Deux semaines s’écoulent. Nous aurions dû réaliser que rien n’arrive jamais au moment prévu dans les négociations. Le Bureau de conciliation accorde une prolongation au président, et il faut maintenant attendre le 27 pour voir le rapport.

Le rapport est déposé et l’équipe est très heureuse de son contenu. Non, nous n’avons pas tout ce que nous voulions, mais cela nous paraît pouvoir former la base d’un règlement. L’AFPC convoque l’équipe à Ottawa le 1er septembre et prend contact avec l’employeur : « êtes-vous disposé à nous rencontrer pour discuter du rapport? » Après plusieurs réunions entre les politiciens et l’employeur, le dimanche 5 septembre, nous convenons de nous réunir le 6 et le 7, et la date limite coïncide avec notre date limite pour la grève. C’en est fait de notre fête du Travail.

14h45, 6 septembre : La rencontre avec l’employeur débute, et il propose le renouvellement de tous les articles mentionnés dans le rapport du bureau de conciliation. L’employeur indique ensuite qu’il a besoin de voir une expression très claire de notre volonté de régler pour bien moins que la recommandation du bureau de conciliation : « Si nous n’acceptons pas de bouger, nous aurons beaucoup de difficulté à conclure un accord.» L’employeur révise alors son offre monétaire: 2,25 % le 1er nov. 2003, 1,75 % le 1er nov. 2004, et 1,75 % le 1er nov. 2005. L’employeur dit que cela reflète un point terminal virtuel quant à sa marge de manœuvre. Après plusieurs autres réunions avec l’employeur, à 20h37, le 7 septembre, on nous demande d’informer l’employeur que nous avons fait un bon bout de chemin dans la dernière année et que nous ne pouvons plus bouger. Les conséquences sont très graves, vu que nos 30 000 membres seront en position légale de grève dans trois heures. Mais nous ne pouvons pas aller plus loin.

À 21h00, le 7 septembre, l’équipe se trouve incapable de conclure une convention collective, et nous allons maintenant demander à nos membres de confirmer le vote qu’ils nous ont accordé il y a si longtemps. Les actions de grève sont imminentes.

Se retrouver sur la ligne de piquetage est des plus intéressants pour un membre de l’équipe de négociation. Les membres ne veulent pas nous voir; ils nous veulent de retour à la table, mais le sentiment d’appui que je ressens de leur part est renversant. Ils appuient la décision de l’équipe et ne veulent qu’une offre juste et raisonnable de l’employeur. Quatre semaines de grèves – tournantes, stratégiques et générales – ont foutu le bordel chez l’employeur, mais n’ont pas suffi à nous donner ce que nous voulons. Nous n’avons pas été rappelés à la table.

Puis arrive le 4 octobre : les tables du Conseil du Trésor vont toutes être en position légale de grève et elles sont rappelées à la table. L’AFPC dit que toutes les équipes seront convoquées, prévoyant que l’employeur sera disposé à tenter de conclure un règlement.

6 oct. : retour à Ottawa. Et nous devons commencer à rencontrer l’employeur le matin. Ainsi débute une autre fin de semaine à attendre, à rencontrer l’employeur pour une heure, et attendre ses réponses des heures. La fin de semaine passe, tout comme le Jour d’Action de grâce. Nous n’observons pas de progrès réels à la table et nous nous retrouvons à demander l’intervention de Hassan Yussuff du Congrès du Travail du Canada. Enfin, après plusieurs heures de réunions entre Hassan et les ministres, plusieurs appels à l’employeur et plusieurs jours d’attente frustrants, l’employeur présente son offre finale.

17 h 30, 13 octobre : l’employeur est à la table et fait une offre de règlement final. Il n’y a plus rien à négocier. C’est cela : il faut accepter l’offre ou rester en grève. L’équipe a besoin de se réunir en caucus. Nous demandons une pause pour que chacun puisse peser ses options et décider de l’orientation à prendre, en n’oubliant pas que la table 2 et Parcs Canada ont déjà réglé. Notre négociateur nous rappelle que nous avons deux décisions clés à prendre :

  • Pensons-nous pouvoir obtenir davantage?

  • Pensons-nous que les membres accepteront l’offre?

Après un long examen de conscience, à 18h35, notre négociateur informe l’employeur que nous acceptons l’offre.

Linda Cassidy
RVP Atlantique