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Le 8 février 2012 |
VANCOUVER SUN |
PAGE : C3 |
Un groupe de petites entreprises s’en prend injustement à l’ARC; la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante exploite le fait que l’agence ne rétorquera pas |
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David Baines |
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La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante appuie la petite entreprise. Voilà qui est admirable. La petite entreprise, c’est le moteur de notre économie. Je dénonce par contre les moyens qu’elle prend parfois pour arriver à ses fins. L’une de nos cibles favorites est l’Agence du revenu du Canada. La FCEI nous sort périodiquement des sondages pour démontrer que le niveau de service et de satisfaction de la clientèle de l’ARC est en régression. Elle cite aussi des exemples précis de la façon dont l’ARC abuse des petites entreprises contribuables. L’ARC est une cible facile, pour trois raisons : . Personne n’aime payer des impôts. Les gens n’ont pas de sentiments particulièrement chaleureux pour l’agence qui les perçoit. Il y a des millions de contribuables au Canada. Lorsqu’un aussi grand nombre de personnes sont en interface avec l’ARC pour traiter de questions monétaires extrêmement délicates, il y a forcément des plaintes. Et il ne fait pas de doute que certaines plaintes sont légitimes. L’ARC ne rétorque pas. Les fonctionnaires de l’ARC ont des consignes strictes à respecter : ils ne discutent pas du dossier d’un contribuable avec quiconque, et surtout pas avec les médias. Ainsi donc, les contribuables et leurs champions peuvent faire toutes les allégations qu’ils veulent dans les médias et l’ARC ne pourra pas les réfuter et refusera de le faire. Cela équivaut à servir une raclée à quelqu’un qui a les mains attachées dans le dos. Il revient donc aux critiques – journalistes ou groupes de lobby comme la FCEI – de bien vérifier leurs faits. Malheureusement, ils ne le font pas toujours. La dernière tartine servie à l’ARC en est un exemple classique. Le mois dernier, Shachi Kurl, directrice des Affaires provinciales de la FCEI pour la Colombie-Britannique et le Yukon, a adressé un courriel au Vancouver Sun pour promouvoir sa Semaine de sensibilisation à la paperasse : « La chose merveilleuse que nous faisons est une série intitulée les Carnets numériques de la paperasse », disait-elle dans son courriel.
Les carnets, explique‑t-elle, sont des profils de « vrais propriétaires de petites entreprises qui se sont fait baiser par des vrais cauchemars de paperasse. » Un carnet, dit-elle, parlait du « propriétaire de bar à salade de Vancouver qui, après s’être fait dire le contraire pendant 11 ans par le fisc, s’est vu servir une facture de 100 000 $ de l’ARC parce que l’agence a décidé que la coupe des fruits et des légumes qu’il vend constitue un service taxable. » Le Sun a rapporté le cas le 16 janvier, en prenant soin de l’attribuer à la FCEI. Son reportage était complété d’une photo couleur du propriétaire de bar à salade, Stephen Chan, debout devant ses fruits, couteau à la main, saisissant le double thème de la coupe des fruits et de la coupe de la paperasse. À première vue, le cas de Chan est un exemple classique de duplicité et de trahison de l’ARC. On ne sera pas surpris que le reportage ait vogué gaiement dans le cyberespace et se soit retrouvé dans plusieurs douzaines de sites Web différents. Malheureusement, il ne rapportait pas la vérité.
Dans une entrevue donnée cette semaine, Chan a dit que l’ARC ne lui a jamais dit qu’il ne devait pas faire payer la TPS. Cette conclusion à laquelle il en était venu s’appuyait sur sa lecture des bulletins d’interprétation de l’ARC. Malheureusement pour Chan, l’ARC ne partageait pas son opinion. Ayant découvert qu’il n’avait pas perçu la TPS, l’agence lui a fait une nouvelle cotisation d’un peu plus de 100 000 $, ce qui représentait une partie, mais pas la totalité, de la TPS qu’il n’avait pas versée. L’ARC a peut-être pris une position qui ne faisait pas l’affaire de Chan, et qui offensait peut-être d’autres observateurs, mais elle n’avait pas fait preuve de sournoiserie ni de fourberie, comme le reportage donnait à conclure. À cet égard, la FCEI s’est attaquée injustement à l’agence et, par extension, à ses fonctionnaires.
Lorsque je lui ai parlé de la question, Laura Jones, la vice-présidente principale de la FCEI pour la recherche, l’économie et l’Ouest canadien, n’était pas prête à reconnaître son faux pas : « En rétrospective, quand on a une vision parfaite des choses, nous aurions pu être plus précis dans nos propos. » Elle n’a pas dit qu’elle allait publier des excuses, ni même une clarification. Autre chose qui me dérange au sujet du carnet de la paperasse de Chan. Tout en reconnaissant que l’ARC a fini par régler le différend en faveur de Chan (avec l’aide de la FCEI), elle ne disait pas depuis quand l’affaire était réglée. On aurait pu supposer que c’était tout récemment. Les carnets ont été dévoilés le mois dernier. Si vous allez à la page d’accueil de la FCEI, vous verrez l’histoire de Chan dans la vidéo proposée. Tout porte à penser que la nouvelle est de dernière heure.
C’est pourquoi j’ai été choqué d’apprendre que l’ARC a réglé l’affaire en janvier 2005 - exactement sept ans plus tôt. Peut‑on, en toute conscience, mettre l’ARC au pilori pour quelque chose qui s’est passé (ou plus exactement qui ne s’est pas passé) sept ans plus tôt? Pas dans mon livre en tout cas. Il est intéressant de noter que Chan n’était pas pressé de ramener l’affaire sur le tapis non plus : « Lorsque Laura a pris contact avec moi pour le Carnet de la paperasse, j’ai refusé, parce que je ne voulais pas ressasser de vieilles histoires et m’exposer aux représailles de l’ARC, m’a‑t‑il confié cette semaine. Mais parce que la FCEI a fait preuve d’une telle gentillesse à mon endroit, j’ai pensé que j’avais une dette envers elle, qui m’avait aidé à traverser une période difficile, et j’ai donc accepté. » Autre chose qui est trompeur au sujet du carnet de Chan. La FCEI a rapporté que Chan a envoyé « près de 100 lettres » à l’ARC pour tenter de régler la question. Mais Chan m’a confié à ce sujet que ce chiffre comprend des copies à de multiples fonctionnaires et politiciens. Le nombre réel est plus proche de 25, ce qui reste considérable, mais qui n’est qu’environ le quart du nombre indiqué. Voilà une exagération de taille pour qui veut dénoncer le fardeau de la paperasse.
Cela m’a amené à m’intéresser à une autre histoire de paperasse à la FCEI : celle de Claude Lavoie, un ébéniste ontarien qui prétend que l’ARC a porté à deux fois par mois la fréquence de versement des retenues de la paie de ses employés, sans l’en informer. Or, il s’est trouvé à faire ses versements un jour en retard, ce qui lui a valu une amende de 1 000 $. On aurait pensé qu’il s’agissait là aussi d’un événement très récent. Mais j’ai découvert que le Financial Post a écrit quelque chose au sujet de la plainte de Lavoie dans un reportage inspiré de la FCEI au sujet de la paperasse en octobre 2010 - il y a 16 mois. J’aurais cru que, si ce genre de bourde de l’ARC est commun, la FCEI aurait pu trouver un exemple plus récent plutôt que de recycler une vieille histoire comme celle‑là. La FCEI prétend qu’il est difficile de persuader les petites entreprises de se plaindre publiquement parce qu’elles craignent les représailles de l’ARC.
J’ai aussi appris, par le reportage du Financial Post, que l’ARC a réglé l’affaire en faveur de Lavoie et lui a remboursé l’amende de 1 000 $, chose que la FCEI a oublié de mentionner dans son carnet de la paperasse. J’aurais pensé que le fait que l’ARC a écouté la plainte de Lavoie et y a répondu était une information intéressante. Puisque l’ARC est incapable de discuter de l’affaire, j’ai demandé à Mme Jones quelle preuve elle avait que l’ARC n’a pas informé Lavoie d’avance qu’il devrait augmenter la fréquence de ses versements. C’est là‑dessus que s’articule tout le reportage. Elle n’a pas répondu à ma question. Lorsque j’ai demandé à Lavoie s’il pourrait dire de façon positive que l’ARC ne lui a pas donné de préavis, il a été d’un vague surprenant : « Pas que je me rappelle, a‑t‑il répondu. Je suis sûr que si j’avais reçu cet avis, je me serais conformé. »
Je lui ai demandé s’il avait demandé à l’ARC la preuve qu’elle lui avait envoyé ce préavis. Cela me semble la chose évidente à faire. Mais Lavoie ne pense pas comme moi : « Cela ne m’a pas traversé l’esprit à ce moment‑là », a‑t‑il répondu. Une chose dont je suis certain, c’est que l’histoire de Lavoie est incompatible avec mon expérience. Lorsque l’ARC a voulu que je règle mes impôts sur le revenu plus rapidement, elle me l’a dit bien d’avance. Elle est aussi incompatible avec la politique officielle de l’ARC, qui est que, lorsque le contribuable doit changer la fréquence de ses versements, « nous vous informerons par écrit, habituellement en décembre, de la date pour laquelle nous devons recevoir vos versements pour l’année suivante ». M’appuyant sur ma vérification des carnets de la paperasse, et d’autres histoires de la même eau, je conseillerais aux lecteurs de les prendre avec un gros grain de sel, surtout lorsqu’elles viennent de la FCEI.